Le temps dédié supplante l’espace d’apprentissage- rencontre avec Emmanuel Tjibaou

J’ai rencontré Emmanuel TJIBAOU en octobre 2022 pour lui demander de nous parler de la relation culturelle à l’espace, si relation il y a… s’il y avait des espaces pour apprendre et vous verrez dans le podcast que c’est passionnant de se laisser embarquer dans la conception de la vie qu’il y développe. Il nous fait cheminer sur un rythme lent et envoutant avec des temps d’étonnement sur les apprentissages que l’on peut y faire !  

Ce podcast est long et passionnant. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à l’écouter que j’ai pris de plaisir à partager ce temps de long dépliement de sa pensée.

Au fil du texte ci-dessous, je vous donne quelques repères temporels de ce qui a été dit.

Emmanuel TJIBAOU

Emmanuel est à la direction de la culture de la province nord depuis début octobre après avoir dirigé pendant 10 ans le centre Tjibaou de NOUMÉA. Il a dirigé le département patrimoine et recherche du centre pour collecter les savoir traditionnels avec les autorités coutumières te mener des programmes de recherche en fonction des priorités définies par les autorités coutumières ; il est aussi formateur à l’IFAP qui est le lieu qui nous rassemble.

Il est le fils de Jean- Marie TJIbaou qui a mené un combat légaliste et non violent pour l’indépendance. Jean-Marie Tjibaou signe le 26 juin 1988 avec, entre autres, Jacques Lafleur et le Premier ministre Michel Rocard, les accords de Matignon, qui prévoient un référendum sur l’indépendance après dix ans et ramène la paix après quatre années de quasi-guerre civile. Il est assassiné le 4 mai 1989, avec Yeiwéné Yeiwéné, son bras droit au FLNKS, lors de la commémoration de la prise d’otages d’Ouvéa, par Djubelly Wéa, un Kanak indépendantiste ancien conseiller territorial et membre du FULK, opposé aux accords de Matignon de juin 1988. Il s’agit du dernier épisode sanglant des années 1980. Sa femme MARIE- CLAUDE née WETTA s’est de plus fortement engagée aux côtés de son mari dans son combat pour l’indépendance. Après son assassinat, elle s’attache à entretenir sa mémoire et participe à la création en 1990 de l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK), en devenant la présidente du conseil d’administration de cet organisme et jouant un rôle de premier plan dans l’élaboration du Centre culturel Tjibaou inauguré en 1998.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Marie_Tjibaou



Le podcast avec EMMANUEL TJIBAOU

L’entrée comme espace de rencontre

Dans la première partie de cet entretien il nous parle de la coutume de présentation et du lien avec son territoire physique. Sur la vision culturelle des espaces, il nous dit que les kanaks intègrent les représentions spatiales comme étant le postulat premier sur lequel les apprentissages s’appuient dans l’ensemble du pays. Il nous raconte ce qui procède de la coutume et la première relation à quelqu’un, le premier geste de la coutume est un geste de présentation, le premier geste de rencontre, de présentation dans lequel on dit d’où on vient, ma tribu, mon clan, ma chefferie et « les groupes avec qui je marche » ; c’est rattaché au foncier mais aussi aux esprits. On va voir dans sa présentation ses montagnes, ses rivières. Ce geste échangé témoigne de ce cheminement.

Il nous raconte comment faire ce geste à l’entrée des maisons a son importance. Comment toute entrée de maison représente la maison des origines. Il faut marcher avant d’arriver pour pouvoir procéder de ce geste de bonjour. Ça incite à prendre du recul sur la condition de la rencontre.

« Se garer devant une maison ce serait comme se garer dans le salon »

E.TJIBAOU

Les sentiers des esprits

Il nous embarque dans l’atlas de la Calédonie dans lequel il a rédigé la partie sur la coutume. Il a représenté les sentiers des morts sur une carte colorée. Les sentiers sont appris par tradition orale. Je vous invite à retrouver à :21 mn ce qu’il nous dit de la lecture de la carte.

C’était troublant moi parce que je venais d’emprunter le bac qui est aussi le chemin que prennent les esprits à côté de Hienghène

Bac de la Ouaïème

Il a plusieurs fois été question de construire un pont à cet emplacement afin de passer à un système logistique plus moderne et fonctionnel que le bac de la Ouaïème. Mais ce lieu étant considéré sacré pour les kanaks, la préservation l’emporte. C’est le lieu où les  ancêtres viennent se réincarner en poisson au niveau de l’embouchure du cours d’eau.

Cheminer et s’asseoir

Il y a des lieux plus favorables que d’autres, il peut y avoir des espaces pour mieux apprendre, mais… c’est le temps qui est important

Emmanuel nous raconte que quand on se présente, on occulte le lieu dans lequel on est, il y a une espèce de dilatation espace-temps et une concentration sur le temps présent. Cette rencontre et l’occasion de donner du temps à la personne.

Il nous embarque à : 30 dans une articulation cheminement / enracinement qui est très inspirante. Je prends mon souffle (j’inspire) j’habite dans un endroit (tu te poses, tu deviens, arbre, caillou, souche) et au bout d’un moment, quand  je n’ai plus de connaissance, je dois bouger, alors, j’expire. Je vais repartir différent parce que le fait d’avoir sollicité l’écoute, d’avoir donné de l’attention aura fertilisé le rapport.

« La parole circule avec les hommes, elle ne circule pas dans un espace clos »

E.TJIBAOU

Qu’est ce qui serait favorable à l’apprentissage ?

A la minute : 50, Je lui demande ce qui serait favorable à l’apprentissage dans cette pièce et il me parle … du temps dédié, du temps que l’on s’accorde. Il parle des moments plus favorables à l’apprentissage comme le récit des contes la nuit. Puis nous expérimentons ce que serait la relation si nous avions mené l’entretien assis par terre !

« S’assoir par terre permet d’être centré sur soi, sur le silence ; quand tu te lèves tu es avec le monde »

E.TJIBAOU

Ses grands conseils pour construire un espace pour apprendre

  • Que ce soit ouvert qu’on puisse marcher
  • Qu’il y ait des endroits de regroupement
  • Du Dehors
  • Un espace ouvert et des espaces clos en alternance qui permettent des modulations de la voix et des apprentissages différents  
  • Des endroits où on peut s’assoir
  • Des endroits où on peut exulter (je lui dis que nous exultons peu J)

J’y ai appris

  • Que l’espace a moins d’importance que le temps que tu accordes à la rencontre
  • Qu’il n’y a pas forcément d’espace plus propice
  • Que l’accès à quelqu’un nécessite un cheminement vers lui
  • Que se garer devant une maison ce serait comme se garer dans le salon
  • Qu’on chemine avec la connaissance par une alternance de temps : l’avancée (pour se rencontrer) et l’arrêt (s’assoir, s’adosser, métaboliser). L’apprentissage nécessite cette alternance de temps, comme le corps a besoin d’inspirer et d’expirer.

Pour aller plus loin avec lui…

Une conférence TED X sur les boutures de parole 

1 réflexion sur “Le temps dédié supplante l’espace d’apprentissage- rencontre avec Emmanuel Tjibaou”

  1. prendre le temps…le temps de la rencontre, le temps à la rencontre…avec l’autre (humain ou non humain), avec soi…
    ceci est mon premier commentaire, Marie Christine, car là j’ai le temps de lire, regarder, voyager avec toi, même si tu es déjà « en partie » revenue, et surement prête à repartir!
    « je me pose sur l’inspir (et là, il s’agit vraiment de « prendre » le temps de vivre, inspirer c’est prendre son souffle, c’est vivre), je me mets en mouvement sur l’expir »…une des bases de mes séances la « gym autrement » quand je m’autorise à proposer une induction / la respiration…induction la plupart du temps « contrariante » (avec bienveillance bien sur!) tant nous sommes habitué-e-s à agir sur l’inspir, en hyper-volontaires que nous sommes…

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