Je vais me balader à Marseille vers les quartiers Nord, ceux qui ont la réputation d’être difficiles, et surtout d’accueillir une population métissée pour laquelle la vie professionnelle n’est pas facile. Alors, après 40 minutes de bus dans la multitude colorée, j’arrive à l’Épopée. C’est un lieu de 19 000 m 2, comme un petit village fait de maisonnettes, clair, accueillant. Il est situé dans les anciens locaux du siège de RICARD, lieu emblématique marseillais. Tout a été réaménagé il y a deux ans, mais les logos et messages encourageants en direction du personnel du siège sont encore là.
J’ai eu envie de rencontrer l’Épopée qui est un lieu de coworking un peu particulier. SYNERGIE FAMILY en est à l’initiative. Ils ont été rejoints par MCES, Make ICI, Archipel & Co, en partenariat avec un collectif d’acteurs et l’écosystème marseillais. J’avais repéré leur projet totalement privé (puisqu’ils sont en plus propriétaires du terrain). Ils sont portés par l’envie de combiner des acteurs qui font que les valeurs associatives ou les publics plus en difficultés sont dans un lieu visiblement dédié à l’entreprise. Ce projet privé, soucieux du public me questionnait.
Je suis reçue par son Directeur Pierre-François DUWAT qui va tout me raconter .
« Le village » de l’épopée
« Je suis le directeur général d’un site qui s’appelle L’épopée et je dirige ce site depuis le 1ᵉʳ février 2021. On est sur le site emblématiques de Ricard, le siège administratif de Ricard qu’on a transformé en village de l’innovation pédagogique, éducative, sociale et solidaire. Il y a neuf bâtiments qui sont tous un petit peu différents les uns des autres puisque construits à des époques différentes. Et aujourd’hui, on y accueille 53 structures (40 % de 30 35 % d’associations, 20 à 25 % d’entrepreneurs. Startup, Société City ou S.A.S, quinzaine d’organismes de formation et quatre fondations Fondations). C’est un espace de coworking dans un sorte de petit village. Ça génère une ambiance de calme, il y a de la verdure et cet aspect village est lié aux professionnels. On est dans le village du travail, dans le village de la formation, dans le village de l’innovation. »
Il y a un autre bâtiment qui sera investi sous peu, en extension des locaux actuels. Il est juste de l’autre côté de la rue sur 4500 m2 : c’est l’usine historique d’embouteillage de Ricard, là où est né le Ricard . Ils ont obtenu le fonds friche, aide de l’État pour réhabiliter. Ce sera un espace de bureau, de formation, une salle événementielle. Il y a beaucoup de demandes de structures qui souhaitent s’y implanter. Ce sera ouvert au 1er trimestre 2025. Ils vont y garder des éléments patrimoniaux pour créer un musée.
Pourquoi venir ici ?
« Ce qui fait que les gens ont envie de venir ici, c’est que le modèle est très différent. C’est à dire que l’ambiance de travail y est différente. Comment est ce qu’on s’inscrit dans un univers de l’innovation pédagogique ou sociale ? Et comment est ce qu’on n’est pas seul aujourd’hui, au delà d’un contrat qu’on leur fait signer pour qu’ils viennent s’installer ici quelque part ? On leur fait signer aussi une charte de bonnes pratiques qui est « Voilà, moi, mon bureau, si je viens ici, mon bureau sera ouvert. Si je viens ici, je participerai aux animations. Si je viens ici, c’est parce que j’ai quelque chose à apprendre ou quelque chose à donner à un voisin ». Je prends toujours cet exemple de la petite association de une ou deux personnes qui est installée juste à côté de la grande fondation. Eh bien, la petite association, forcément va avoir plein de choses à apprendre de la fondation. Mais la fondation va peut être trouver dans l’association une case qu’elle avait un peu de mal à cocher. «
« On a vraiment réussi à créer un environnement où ces sociétés communiquent en créant des espaces communs. Là où on est aujourd’hui, c’est un espace de restauration, mais aussi un espace de travail. Quand on se dit bonjour, ce n’est pas galvaudé, il y a une bienveillance dans ce site qui est assez prégnante. »
Comment est pensé l’espace ?
La terrasse est le centre névralgique du « village »
« On a agi pour pour rendre un lieu attirant : on a fait une jolie terrasse en bois de plus de 300 m2 avec des tables de qualité. On a mis des lumières avec des prises électriques pour que les gens puissent brancher leur ordi. On a fait une attention particulière à ce que le Wi-Fi se capte bien. On a mis toutes les chances de notre côté pour que les gens aient envie ; en tout cas, que le lieu soit attractif, ne serait ce que d’un point de vue structurel.
Au niveau relationnel, quand les gens viennent s’installer, il y a un respect mutuel qui fait qu’on ne s’installe pas forcément immédiatement à côté d’un autre. Donc les gens, petit à petit, quand les beaux jours arrivent, viennent faire leurs entretiens et leurs réunions sur cette terrasse. C’est ici le phénomène du coin de la machine à café. On a une très grand machine à café. Là où on dit à Marseille que les décisions se prennent dans les salons du Vélodrome ou au Cercle des nageurs, la nuit, les décisions se prennent ici sur notre terrasse. »
je constate en effet, que c’est une petite fourmilière au calme.
Le café du cercle Sainte Marthe favorise la mixité des publics
La terrasse jouxte un vieux bistrot, ouvert de l’autre côté sur la rue. Il y a un comptoir à l’ancienne, des papis du quartier et un meuble avec des boules de pétanques. C’est le Cercle de Sainte-Marthe.
« Historiquement, né en 1890, le cercle de Sainte Marthe plus vieux cercle encore en activité de nos jours était le cercle de la Philarmonique de Sainte-Marthe. À l’arrivée de Paul Ricard, c’est devenu le cercle des boulistes de Sainte-Marthe qui est toujours en activité. Il y a la rencontre entre les habitants du quartier qui viennent taper le carton ou qui viennent prendre leur petit vin blanc à 15 h avec les salariés et les jeunes qui travaillent ici. On a voulu la mixité de structure, mais aussi la mixité des personnes avec des sièges sociaux, donc des entrepreneurs, des organismes de formation, des jeunes en formation et les habitants du quartier qui viennent se mélanger. «
Marie fait le lien avec le quartier
Je pose la question du lien avec le quartier et de la façon dont on peut vérifier l’implantation et l’impact sur l’utilité que l’on a en direction des habitants. Cela me semble en effet, être un point central.
« Deux ans qu’on est là. Alors nous, on a investi dès le départ sur une personne qui allait faire le lien avec le territoire. On est un Tiers-Lieux, c’est essentiel pour nous de venir s’installer dans un nouveau lieu. On vient s’installer, on vient remplacer Ricard, groupe du CAC 40, poumon économique quelque part de la région, et il fallait qu’on communique avec le territoire. Donc on a une personne qui s’appelle Marie et qui est en charge d’aller à la rencontre des associations, à la rencontre des commerçants, à la rencontre des collèges, des lycées. »
Ils commencent à mesurer l’impact
« On mobilise toute l’équipe pour relever des données dès la première année de notre installation : combien de visites ? Comment évolue le quartier ? Et on mesure notre impact. En 2022, on constate une augmentation du chiffre d’affaires des entreprises installées chez nous et la création de nouveaux commerces dans le quartier, entre autres. »
Quand je pose la question des indicateurs les plus importants, PF Duwat me dit « On est dans l’éducation avec un grand E, c’est à dire qu’on inclut là dedans aussi le retour à l’emploi des jeunes éloignés de l’emploi. On est dans un quartier compliqué, on est dans les quartiers prioritaires de la ville. «
- L’un des items les plus importants est le nombre d’emplois que l’Épopée a créés et, sur ces emplois créés, combien reviennent directement à des habitants du quartier,
- Le deuxième, c’est la dynamique du quartier qui se mesure via le nombre de commerces, via le nombre de familles qui viennent s’installer ou pas, la vacance dans les hébergements,
- Le dernier est le nombre de visiteurs, de personnes de l’extérieur qui viennent visiter. Comment et combien exactement ?
Ils mesurent l’impact sur un peu plus de 190 items. Ils ont pu le faire sur un an et se promettent de renouveler au fil des ans cette mesure pour vérifier si » oui ou non installer une épopée dans un quartier aura eu un impact sur son environnement immédiat. »
Venir voir ce qui se passe ici pour être ensuite orienté
Je demande si c’est important d’ouvrir sur l’extérieur, pour que l’on puisse venir voir ce qui se passe
« C’est essentiel pour nous,puisque aujourd’hui les structures qui sont présentes tournent autour de l’emploi. Insertion inclusion. On sait que la grosse difficulté des organismes de formation ou des structures qui sont dans ce domaine là, c’est le sourcing, c’est de trouver des gens. Donc, on invite un maximum de gens à venir par curiosité, et on arrive à les capter. C’est presque un prétexte pour que les gens viennent, et qu’ils se disent ben voilà, je viens parce que j’en ai entendu parler, je recherche un emploi, je galère depuis des années, je veux de petits boulots, un petit boulot et là charge à nous, à derrière de les orienter vers les bonnes structures pour essayer de les faire revenir à l’emploi. »
Rendre l’attractivité aux lieux physiques
Je mets en avant que la problématique des lieux post COVID, c’est bien leur attractivité. Pourquoi revenir dans un espace physique alors que le télétravail s’est installé ?
« Les gens ont envie de venir ici parce qu’ils ont besoin de se sentir bien au boulot, de bienveillance, de sourire et de bonjour. Beaucoup de gens disent que ce qui les a interéssés dans le système de l’Épopée, c’est qu’autant de structures mixtes et hybrides se soient retrouvées au même endroit ; et quand ils viennent visiter, ce qui va finir de les convaincre, c’est la bienveillance, la mixité et la bonne humeur. On vient faire le contrepied au télétravail ; on constate un taux de télétravail qui baisse ; les gens disent je vais pas faire trop de télétravail parce que j’ai plaisir d’aller au boulot. »
Les pistes d’amélioration du lieu
Le premier axe est l’aspect économie circulaire et énergie : gérer les déchets de manière intelligente, dépasser le système de climatisation des locaux. Ils favorisent l’installation des camions food-truck et leur rotation, ils les incitent à faire une offre végétarienne, à créer une carte de fidélité pour ceux qui apportent leurs récipients. Ils souhaitent aller plus loin dans la gestion des déchets et le respect de l’environnement.
Le deuxième est d’utiliser leurs espaces de manière intelligente. On a vu tout à l’heure que l’intérieur du site était fait de parkings dédiés aux cadres de Ricard. Sur ces places ils ont mis des tables où l’on peut manger à l’écart pour avoir une tranquillité que le collectif ne permet pas toujours. Et, avec peu de moyens ils transforment ces espaces
Créer des espaces de formation. Enfin, ils ont eu la chance de récupérer des bureaux qui sont dans un état impeccable, mais qui restent des bureaux . Ils souhaitent les transformer en espaces de formation et travailler ainsi sur les aspects sonores, lumineux, sur le mobilier.
Les Grands conseils si vous voulez créer une Épopée
L’épopée a été sous le feu des projecteurs parce qu’ils sont innovants. Le modèle ne dépend pas de subventions et beaucoup de villes sont venus les visiter pour créer des épopées dans leur propre ville.
Ses conseils sont :
- Écrire l’histoire avant tout : l’épopée est née des dirigeants de Synergie Family. Les bulles programmatiques existaient : on veut un village dédié à l’innovation pédagogique et éducative pour le retour à l’emploi. On écrit d’abord l’histoire
- Trouver le lieu physique mais pas forcément là où il est. C’est à dire ne pas s’inquiéter du quartier par exemple a priori
- Ne pas négliger l’exploitation (Il nous explique son parcours) « Il faut gérer ce lieu avec passion et bienveillance. Ce lieu est une exploitation et tout le monde ne peut pas gérer une exploitation ».
Ce que j’ai appris ou les questions que je me pose
- J’ai appris qu’on pouvait sans problème afficher un modèle privé et oeuvrer pour l’accueil de tous
- Je suis curieuse de connaitre leurs nombreux indicateurs d’impact – je préfèrerai d’ailleurs parler d’effet plus que d’impact ; cela renvoie à une action plus douce et à plus long terme.
- Que l’on peut aménager un lieu à peu de frais à condition d’être clair sur son usage ( je pense aux parkings transformés en placettes )
- Le lieu a un accueil avec un gardien et une barrière. Il me semble que cela est nécessaire pour préserver le fonctionnement des structures qui sont dedans. Mais cela contraste avec la friche de la BELLE DE MAI que j’ai ensuite rencontrée et qui se donne comme objectif l’implantation dans le quartier. Cela se traduit, à la Friche, par un portail largement ouvert, la présence d’un terrain de foot et d’une piste de skate à l’entrée. Je n’ai pas assez investigué les modèles économiques et les projets des deux structures. Cependant, la forme de l’accueil et l’accessibilité physique renvoient à quelque chose de la possibilité d’aller et venir librement et d’être appelé à entrer facilement. Je n’ai pas centré mes observations dans MILES sur l’accueil, mais je m’y emploierai.