J’ai découvert les travaux Rosan Bosch a travers l’usage qu’en a fait fait Archi Classe en France. J’étais attirée par les métaphores simples et vivantes qu’elle utilise pour décrire des lieux distincts dans un espace actif d’apprentissage. C’était un peu mon héroïne de l’espace !
Rosan Bosch est aujourd’hui une architecte internationalement reconnue, spécialiste du design espaces d’apprentissage. Son cabinet d’architecte est à Copenhague. Je ne pouvais pas faire autrement que d’essayer de la rencontrer ! Rosan était à ce moment là à Mexico, mais m’a proposé de rencontrer Marie Toudal Pedersen, pédagogue de l’Équipe, avec qui j’ai eu des échanges passionnants sur les liens entre espace et pédagogie.
Le cabinet à côté de CHRISTIANA
Le cabinet est situé tout à côté du quartier Christiana qui est un des quartiers de Copenhague dans lequel les maisons, les jardins et les gens vivent en toute liberté.
Au début des années 70, une partie du quartier de Christianshavn utilisé à des fins militaires fut abandonné. Certaines familles décidèrent alors de s’y installer et de vivre loin des lois établies par la société pour créer une communauté hippie régie par ses propres règles. Aujourd’hui, un peu plus de mille personnes vivent dans la ville libre de Christiania. Elles se considèrent indépendantes du Danemark et de l’Union européenne. Le quartier est autogéré, basé sur des principes comme le recyclage, l’art en plein air et la collaboration entre voisins. La nature et la joie de vivre y ont toujours leurs droits.
Le cabinet est spacieux, coloré, lumineux. Nous nous installons à une table ronde de la salle de pause de l’équipe pour avoir notre fort intéressant échange.



Nous faisons un croisement de livres. Marie m’offre le livre édité par Rosan Bosch Studio « Designing for a better world starts at school » qui décrit en détail et en photos le concept des zones d’apprentissage. Elle me le dédicace, tout en faisant un portrait de moi, sans lever le stylo et en me regardant. Ce fut un moment fort chaleureux, et fort passionnant !


L’INTERVIEW
Comment faire pour que les murs créent une occasion d’apprentissage ?
Marie travaille ici depuis 2 ans et a été 14 ans enseignante sur des méthodologies de projet. (project based learning). Elle a pu mesurer comment l’activité pouvait être pleine de vie, de joie, voire d’amour
« Il est important de leur donner le choix et l’opportunité de grandir depuis ce qu’ils sont parce que l’on est différent et que l’on apprend différemment ». C’est le coeur, pour elle, du projet d’organisation d’espace ! L’idée est ensuite de créer des nudges pour que les apprenants et les formateurs agissent différemment. quand tu es enseignante et dans ce type d’environnement tu es surprise chaque jour, parce que tu vois des choses se vivre, la façon d’être avec les apprenants est différente, cela ouvre ta façon de voir le monde parce que tu vois comment les gens sont autrement.
« En ouvrant l’espace physiquement et mentalement tu ouvres la possibilité de grandir. »
Marie
Le rôle d’une pédagogue dans un studio d’architecte
Ce back-ground lui donne un bon vécu des effets de ce type d’espace et lui donne le bon sens nécessaire pour aligner le cadre pédagogique et le cadre physique. Elle vérifie la faisabilité concrète des projets, contribue à embarquer les leaders des écoles dont elle partage le même langage et la même vision pédagogique. Elle contribue aussi à les aider à changer de pédagogie, vers une pédagogie basée sur le projet. Certaines équipes sont déjà prêtes mais pour la majorité, il est nécessaire de construire une nouvelle vision. Le studio leur recommande alors d’avoir une vision du process pédagogique en même temps que se déroule le projet architectural, pour faire avancer les deux, main dans la main.
Quand ils imaginent la nouvelle école, elle les invite à changer chaque jour quelque chose dans leur façon d’enseigner, même sils n’ont pas encore l’espace, avec les ressources dont ils disposent pour être plus « playful » déjà. Cela leur permettra d’avoir déjà une vision ce de ce que sera l’usage des espaces et d’être déjà prêts.
Quand les personnes enseignent ou gèrent une école, elles n’ont pas le temps de créer du changement ou de prendre le temps de réfléchir au changement ; ainsi l’équipe ROSAN Bosch, outre le fait de le leur suggérer, les accompagne aussi par des ateliers de facilitation dans l’école pour qu’ils fassent des transitions à petits pas.
Entre les ateliers, Marie fait du suivi à distance pour ne pas les laisser seuls : que se passe t-il ? qu’est ce qui marche ou pas ? Les travaux varient suivant le point de départ. Elle donne l’exemple de l’école internationale de Lisbonne dans laquelle ils avaient l’environnement, mais ils ne se sentaient pas en sécurité, pas assez à l’aise pour l’utiliser. 3 ateliers les ont aidés à découvrir toutes les possibilités d’usage de l’espace ; pour d’autres projets cela peut être de renforcer l’implantation dans l’école en travaillant sur les collaborations et les calendriers. Chaque atelier les conduit à des productions, à des rendus, à des dates précises.
L’espace NUDGE
Pour elle, l’idée est de créer des nudges pour que les apprenants et les formateurs agissent différemment. Elle a toujours été intéressée par le fait de pouvoir organiser l’espace pour que les participants (apprenants et enseignants) sachent comment s’y comporter et qu’y faire ; l’idée est de créer des espaces facilitants, comment créer dans une classe des espaces différents ? comment changer avec les étudiants l’espace parce que l’on change d’activité ; ou avant d’animer la classe, comment la designer avant l’activité ou parce que l’on change d’effectifs.
« How can we make area set so the students know how to behave and how to do ».
Marie
Cela implique en plus de prendre en compte les activité des autres enseignants et les emplois du temps pour rendre cela faisable. Elle pense que c’est plus intéressant de mélanger des chaises fixes et à roulettes dans un espace, pour donner plus de possibilités. On peut parfois avoir anticipé les espaces et parfois, laisser libre l’organisation que l’activité pourrait faire surgir.
Les 6 design d’espace
« Nous devons nous débarrasser de la salle de classe et construire des écoles qui soutiennent les penseurs créatifs »
ROSAN Bosch

L’équipe s’appuie dans son accompagnement et dans les projets architecturaux sur les 6 types de design d’espaces développés par ROSAN Bosch. Ce sont plus des métaphores pour décrire le type d’interactions humaines dans des situations d’apprentissage que des modèles de formes d’espaces. Le principe est d’offrir des variations dans l’organisation de l’espace pour que les enseignants puissent en faire un usage en séquences. Chaque espace scénographié permet de développer des compétences et incite à vivre certaines activités.
Le descriptif ci-dessous est une synthèse du livre « Designing for a better world starts at school » paru en 2018. Les catégories sont un peu différentes de celles que l’on trouve dans Archiclasse cité plus haut.
« Mountain Top »- Le sommet de la montagne
Cela désigne un espace ou un individu peut s’adresser à tout un groupe dans une transmission d’informations ou de connaissances. Le locuteur peut être le formateur ou l’apprenant. La montagne est par exemple un escalier sur lequel les écoutants peuvent s’installer. Les compétences développées sont la confiance en soi et la capacité à s’exprimer devant un collectif
« Speaking up is a way of learning »
Rosan Bosch
« Cave » – La grotte
Cet espace vise à faciliter concentration individuelle, la focalisation. Il est tranquille, mais pas forcément isolé. Il peut être pour un tout petit nombre d’apprenants. Il peut se traduire par des niches dans les fenêtres, des plus petits espaces dans un grand , des coins . Les grottes ne nécessitent pas plus d’espaces dans les écoles, mais au contraire invitent à utiliser des espaces qui ne le sont habituellement pas. Les compétences développées sont le travail autonome et la concentration.
« A cave is a robust and highly adaptable design tant can be placed in contrasting surroundings and still maintain the desired qualities- a tranquil and quiet retreat int storm ».
Rosan Bosch
« Camp Fire »- Le feu de camp
Cela désigne un espace qui est conçu pour les travaux d’élaboration en petits groupes. Cela apprend aux apprenants à se concerter pendant les interactions avec les autres, à résoudre des problèmes et à renforcer leurs compétences de contribution à un processus collectif et ouvert.
Cela peut se matérialiser par des poufs, des tables basses, des supports de formes organiques qui sont déjà installés ou que le groupe installera au besoin.
« Watering Hole »- Le point d’eau
Cela désigne un lieu de passage et de perturbation qui peut être cependant utilisé de façon stratégique par ses caractéristiques propres : une cafétéria, un hall, un lieu d’attente, d’exposition. C’est l’occasion de rencontrer des personnes inconnues et d’être perturbé, au bon sens du mot, par de nouvelles idées. Un point d’eau est un lieu ouvert, transparent, à plusieurs usages. Elle souligne qu’une cafétéria ouverte seulement pour les repas, cela est dommage pour un établissement et cela ne remplit pas la fonction d’un lieu de rencontre.
« In these spaces you expect to be disturbed(…) a Watering Hole can unleash this potentiel if it maintains its busy fonction and imposes intelligent opportunities to distract users from their planned path, tempts them to a stopover, and lets them meet familiar and unfamiliar people »
Rosan Bosch
« Hands on » – En pratique ( je tente cette traduction)
C’est un ajout aux principes précédents par des pratiques qui peuvent se faire dans ou hors l’école. L’idée et de proposer des situations d’apprentissage concrètes proche de la vraie vie. Cela peut se traduire par le fait de sortir de l’établissement, d’aller faire des visites, de vivre des expériences sensorielles. L’idée est de combiner le corps et le cerveau dans la situation d’apprentissage.
Cela va se traduire par des espaces solides, que l’on peu salir, où on peut laisser des traces sur les murs avec des zones de stockage de matériels. « Dirt and marks will inspire the next users »
« Being able to touch, build, prototype our perform as part as an holistic learning process garantees a more profound learning experience. »
Rosan Bosch
« Movement » – Mouvement
Cela désigne des situations qui intègrent le mouvement comme faisant naturellement partie de tous les espaces. L’idée est d’augmenter la possibilité de bouger pour faire travailler plus vite et mieux ses neurones ! Il ne s’agit pas d’interférer avec les autres activités, mais de définir des espaces dont on perçoit clairement l’usage : est-ce que bouger ou grimper sur les murs est possible et adapté ou pas ?
Cela peut se traduire par des salles dédiées à l’activité ou par le fait d’autoriser, voire d’inciter, dans la journée les apprenants à changer posture. Cela signifie que l’espace ne doit pas être trop encombré de meubles.
« Oppressively designed spaces that are intolerable towards movement do not support a healthy and vivacious learning process. »
Rosan Bosch
Former les apprenants à la flexibilité
Marie évoque le fait qu’en tant qu’enseignante, elle a fait travailler les élèves sur le comportement adapté à avoir avec les autres (comportement) mais aussi dans le choix d’une position adaptée aux apprentissages (bon choix de l’assise pédagogique). Ils suivent en classe des temps d’enseignement autour du fonctionnement du cerveau selon que l’on est actif ou pas physiquement. Il est important d’expliquer ce que l’on fait pour qu’ils comprennent. « Plus on en parle, plus ils s’en rappellent »
Les apprenants ont besoin de sentir qu’ils ont un impact sur la façon dont ils veulent travailler dans le programme. Par ex : « on va travailler sur les contes de fée la semaine prochaine, quels types de contes vous voulez ? » Cela permet de les engager autrement dans la dynamique d’apprentissage.
Les conditions de collaboration : faire voyager dans l’écart entre le rêve et le futur
Quand j’interroge Marie, sur les bonnes conditions de collaboration au départ d’un projet elle dit que l’important est qu’ils imaginent le futur. Elle les invite à traduire concrètement leur vision. Ils dessinent et font des maquettes et des plans. Quand quelque chose est sur la table, c’est beaucoup plus facile d’aligner le futur, s’il est physiquement représenté. Si on ne le fait qu’en paroles, dit elle, le risque est que l’architecte transforme ces paroles dans sa propre réalité, dans un réflexe autotélique qui serait de créer par rapport à ses propres besoins.
D’où partent -ils ? (quel est votre rêve ? pourquoi voulez vous cela ?) où veulent-ils aller ? Ainsi on peut construire avec eux les petits pas pour y aller et commencer à leur faire imaginer des changements dès aujourd’hui et les programmer à court, moyen et long terme.
Elle les fait aussi travailler sur de la résolution de problèmes qui se posent quand ils essaient de changer. Marie donne l’exemple d’un groupe qui a été, certes créatif, mais la salle était en bazar et cela rendait l’activité suivante compliquée. Ce constat de difficulté risquait de freiner leur changement. L’idée est alors de le faire travailler sur l’organisation qui permet de régler ce problème, soit en intégrant un temps de rangement participatif par ex dans le temps, soit en cherchant d’autres solutions acceptables et faisables.
Ses 3 recommandations
Nous terminons l’entretien sur ses trois recommandations.
- Making small pilotes
- Share expérience of learning with other collègues
- Expect to do something that you have tried before, force you to . We have to be this learning community we are preached
Pour aller plus loin…
Une conférence TED X de Rosan Bosch
Ce que j’ai appris
- Que l’interdisciplinarité était un atout dans un projet de design d’espace et que les pédagogues avaient vraiment leur place 🙂
- Que le design d’un espace est aussi une indication d’activité d’apprentissage par l’usage qu’il suggère. Le Nudge de l’espace
- Que les locaux dans lesquels on pense, on crée sont en cohérence avec ses productions. Il y avait une luminosité, une clarté, une vivacité et une cohérence dans ce lieu que l’on retrouve dans les concepts et les écrits tant dans leur fond que dans leur forme.
Super article et interview :
Il me tarde de te voir à Purpan lors de ta conférence !
On échangera sur les espaces d’apprentissage, induits par les technologies immersives
Cdlt
Merci Audrenne pour ton commentaire !
Il y a effectivement à combiner avec les pratiques immersives, et celles qui proposent des expériences sensorielles pour utiliser les biais Cognitifs ( comme faire une vibration dans la main, pour avoir la sensation que l’on scie du bois) !!